En -37/-36 Marc Antoine entame une campagne contre les Parthes qui tourne au désastre, en grande partie causé par un hiver rigoureux dans les montagnes d'Arménie et du nord-ouest de l'Iran actuel. Antoine lui-même en réchappe de peu. Cléopâtre est restée à Alexandrie pour accoucher d'un troisième enfant du couple, Ptolémée Philadelphe[35]. Après -37, on commence à voir à Rome dans l'alliance entre Antoine et Cléopâtre une menace contre l'Empire et contre Octave. Celui-ci envoie sa sœur Octavie, la femme légitime d'Antoine et la mère de ses deux filles, Antonia Major l'Aînée (la future grand-mère de Néron), et Antonia Minor la jeune (future mère de Germanicus et de Claude) au début du printemps -35 rejoindre son mari. Antoine ordonne à sa femme, lorsque celle-ci parvient à Athènes, de rebrousser chemin. Octavie, sans montrer extérieurement le moindre signe de contrariété, ordonne aux troupes qui l'accompagnent, des renforts de son frère pour son époux, de poursuivre leur chemin vers Alexandrie.
Antoine projette en effet de faire oublier son échec militaire de -36 et lance en -35 une seconde expédition plus chanceuse. L'Arménie et la Médie font acte d'allégeance et Antoine célèbre un triomphe, non à Rome, mais à Alexandrie où Cléopâtre et ses enfants sont associés. Un peu plus tard Césarion est proclamé roi des rois, Alexandre Hélios reçoit en partage l'Arménie et les terres au delà de l'Euphrate, Ptolémée quant à lui se voit confier, nominativement bien sûr car il a environ deux ans, la Syrie et l'Asie Mineure. Enfin Cléopâtre Séléné se retrouve à la tête de la Cyrénaïque. Il semble que le caractère hasardeux et chimérique de ces projets grandioses et irréalistes, une partie non négligeable de ces royaumes ne sont pas réellement sous le contrôle de Marc Antoine, n'échappe pas à Cléopâtre qui se contente plus prosaïquement de réclamer à son amant, en vain, la Judée.
Les relations avec Octave s'enveniment de nouveau en -32 et les poussent à l'affrontement. Nul doute qu'Octave craint Marc Antoine et sa popularité, encore forte au Sénat, mais le triomphe d'Antoine en -35[36] et la désignation de Ptolémée XV/Césarion comme roi des rois lui font envisager un danger plus vaste encore. Après tout, ce jeune homme est le seul fils de César, et il pourrait un jour lui venir l'idée, si les circonstances s'y prêtent, de venir réclamer son héritage paternel. Aussi Octave va s'employer à dénigrer Marc Antoine par tous les moyens et surtout Cléopâtre, l'Égyptienne, celle qui le tient sous ses charmes et qui l'oblige à des abandons qu'Octave estime désastreux pour Rome. La plupart de ces accusations sont de mauvaise foi et de la propagande auprès de l'opinion publique romaine mais sont aussi pour beaucoup à l'origine de la « légende noire » de Cléopâtre chez nombre d'auteurs antiques comme Sénèque[37] et Pline l'Ancien[38]. Cléopâtre est rendue responsable de la guerre et la propagande d'Octave n'hésite pas à affirmer qu'elle souhaite régner sur Rome[39].
La guerre voit l'Égypte fournir une part importante de l'effort de guerre, plus de 200 trières, ainsi que les royaumes alliés, à l'exception notable de l'habile Hérode qui visiblement fait le pari d'une victoire d'Octave. Il est vrai que c'est son intérêt car la reine d'Égypte lorgne sur son royaume depuis fort longtemps. Mais Marc Antoine, alors qu'il dispose des troupes les plus aguerries et de la supériorité numérique[40] mène la guerre en dépit du bon sens, sans énergie et alors qu'Octave peine à constituer son armée il lui laisse le temps de s'organiser. De plus l'implication de Cléopâtre dans le conflit est mal perçu par les officiers qui entourent Antoine. En particuliers les anciens républicains, assassins de César, qui se sont ralliés à lui. Ainsi Domitius Ahenobarbus refuse absolument de saluer Cléopâtre de son titre de reine et finit par faire défection[41]. Cette hostilité viscérale de certains romains à la monarchie, qui éloigne d'Antoine de nombreux hommes de valeur, n'est pas comprise par les historiens de culture grecque des siècles suivants qui ne font guère la différence entre la dictature de César, le Triumvirat et le principe monarchique des autres peuples[42]. Cléopâtre connaît d'ailleurs cette hostilité et ne quitte pas Marc-Antoine de toute la préparation du conflit. Elle est présente à Éphèse, à Athènes puis à Patras. Plus lucide que les officiers d'Antoine, elle comprend fort bien qu'Octave ne la dénonce que pour mieux miner le prestige d'Antoine encore important au Sénat[43].
Octave n'est guère un grand chef de guerre mais il compte avec Agrippa, un officier compétent qui lui donne rapidement l'avantage. Lorsqu’éclate la bataille navale d’Actium (septembre -31), Cléopâtre anticipe rapidement l'issue finale de la guerre et rompt le combat avec sa flotte. Cette fuite, seul moyen de sauver ce qui peut l'être, est évidemment exploitée par Octave auprès des officiers et des hommes d'Antoine dont beaucoup changent d'allégeance.
Les derniers mois sont assez mal connus. Antoine retourne en Égypte et ne prend pratiquement aucune mesure pour lutter contre l'avancée de plus en plus triomphale d'Octave. Il consume ses forces en banquets, beuveries et fêtes somptueuses sans se soucier de la situation. Que fait Cléopâtre ? Les sources manquent. Certaines affirment qu'elle cherche à séduire Octave. L'anecdote est-elle crédible ? Difficile à dire. Il est probable que les charmes de la reine approchant de la quarantaine et après au moins quatre maternités avaient faibli. Il semble qu'elle ait surtout cherché à mettre Césarion à l'abri en l'expédiant à Méroé, au Soudan.
Vers août -30 Octave arrive à Alexandrie. À la fausse annonce du suicide de Cléopâtre, Marc Antoine met fin à ses jours en se jetant sur son épée. Mourant, il est transporté par Cléopâtre dans son propre tombeau. Celle-ci est conduite devant Octave, qui la laisse se retirer avec ses servantes. Cette attitude est curieuse de la part du futur Auguste car il semble ne prendre aucune précaution pour prévenir un suicide de la reine, dont il a pourtant besoin pour figurer à son triomphe. Craint-il qu'à l'instar de sa sœur Arsinoé, figurant au triomphe de Jules César en -46, elle n'inspire aux Romains que compassion plutôt que haine[44] ? Il n'est pas impossible qu'Octave ait espéré le suicide de Cléopâtre, qui pouvait passer pour une lâcheté supplémentaire, accréditant la thèse défendue par sa propre propagande. Cela dit il est difficile de connaître la vérité. Suétone en effet affirme qu'Octave au contraire souhaite maintenir la reine en vie et qu'il tente de la faire sauver[45].
Plutarque dresse un récit saisissant et mélodramatique[46] du suicide de la reine[47]. Avec ses deux plus fidèles servantes, Iras et Charmiane, Cléopâtre se donne la mort, le 12 août -30[48], en se faisant porter un panier de figues contenant deux aspics venimeux. Cette version est la plus courante[49]. Pour E. Will, ce serait peut-être une nouvelle preuve de l'attachement de la reine aux traditions égyptiennes car la morsure de l’uræus passait pour conférer l'immortalité. D'autres historiens, comme M. Le Glay, ont souligné les invraisemblances de ce récit, qui serait un nouvel avatar de la propagande octavienne. En effet, il néglige l'âge de Cléopâtre (39 ans) et le fait qu'elle avait alors quatre enfants. Si Césarion est exécuté sur ordre d'Octave, les trois autres enfants d'Antoine et Cléopâtre sont emmenés à Rome et élevés par Octavie, restée fidèle à la mémoire de son mari. Cléopâtre Sélénéberbère Juba II de Maurétanie[50], comme elle orphelin de guerre élevé à Rome, ce à quoi nous devons le beau buste de Cherchell qui représente sa mère. On ne sait pas ce que devint Alexandre Hélios, qui survécut peut-être dans l'obscurité. épouse plus tard le roi et savant
Son principal mérite est de s'être rendue compte que l'Égypte ne pouvait plus se suffire à elle-même malgré son passé glorieux et ses traditions séculaires. C'est ainsi qu'il faut comprendre son implication dans les aléas de la politique de Rome, dont elle cherche à utiliser la puissance pour affermir son pouvoir et sortir son pays de la décadence, tout en maintenant son indépendance. Elle connaît les pesanteurs qui paralysent son royaume, l'instabilité qui le caractérise mais estime que, de sa précarité, l'Égypte, dont Rome a besoin, peut faire une force et tente de persuader César (sans grand succès semble-t-il) puis Antoine (avec plus de réussite au départ) qu'une alliance est préférable à une colonisation. Jamais Cléopâtre ne perd de vue qu'elle représente l'Égypte et son peuple. Elle est d'ailleurs la seule qui tente véritablement de rallier les gens de la chôra (la province par opposition à Alexandrie). Elle protège la population juive[51] pour qui le règne de Cléopâtre est une période particulièrement heureuse[52]. Elle assume aussi des rituels pharaoniques que ses prédécesseurs ont négligés et elle adopte le rituel traditionnel pour la naissance de Ptolémée-Césarion-Horus, fils de César-Amon et de Cléopâtre-Isis. Le trône pour elle est moins un patrimoine que l'on dilapide qu'une patrie que l'on dirige, ce simple fait la distingue des derniers souverains de la dynastie.
Guido Reni, 1630 | Claude Vignon, 1640 | Guido Cagnacci, 1659 | Guido Cagnacci, 1660 |
Jean-Baptiste Regnault, 1799 | Jean-André Rixens, 1874 | Reginald Arthur, 1892 |